LA CARTE MAGIQUE

LA CARTE MAGIQUE

Il y a bien longtemps de ca, si longtemps que cela semble une éternité, vivait une famille heureuse.

Cyb était un jeune homme de nature joyeuse et aimante, et dégageait une aura si lumineuse qu'on percevait toujours un halo coloré autour de lui. Son sourire qui ne le quittait jamais le rendait beau et lorsqu'il ouvrait la bouche pour parler c'était toujours avec intelligence, bienveillance et humilité. Ses paroles étaient emplies de sagesse et de justesse.

Un jour il fit la rencontre d'une magnifique jeune femme. Il fut aussitôt charmé par la manière dont elle aussi rayonnait, il su au premier regard échangé que c'était elle. Et, dés qu'elle lui eut souri et adressé sa première parole il comprit que désormais ils étaient liés à tout jamais. Elle se prénommait Salvia.

Le tourbillon de la vie venait des les emporter dans une danse enivrante.

Cyb était fou amoureux et Salvia avait toujours l'impression d’être sur un petit nuage à ses cotés.
Il finirent par se marier,  et de leur union, après quelques mois de leur délicieuse complicité naquit un petit être, fruit de leur amour grandissant toujours plus. C'est ainsi que vint au monde le petit Loki, leur enfant chéri, leur premier fils.

Les deux parents toujours plus épris l'un de l'autre nageaient dans un bonheur idyllique. Leur petit Loki grandissait à vue d’œil et se portait comme un charme. Il souriait tout le temps comme son père et Salvia aimait répéter à son mari que Loki était toujours souriant comme son papa, ce qui ne manquait pas d’émouvoir Cyb à chaque fois.

Les mois passaient, Loki grandissait et il fut bientôt en age de marcher. Ses premiers pas furent un événement qui rendit fous de joie les deux parents. Voir leur petit se dresser et s’élancer, un pied et puis l'autre pour aller atterrir dans les bras de son père, resterait un instant magique à jamais gravé dans leur mémoire. Ils avaient fêté son premier anniversaire deux mois plus tot. Et le lendemain de cet exploit, ce grand jour où il avait marché vers les bras tendus de son père, c'était l'anniversaire de Salvia, et Cyb avait décidé d'emmener sa petite tribu faire un pique nique au bord du lac Gisson.

Le lendemain matin de bonne heure la famille se mit en route direction le lac.  C'était une journée idéale, il faisait beau et chaud. Cyb souriait à son habitude, et Salvia chanta tout le long du trajet. Loki l'accompagnait de bruitages et de gazouillis entremêlés d'éclats de rire joyeux. Cette journée s’annonçait sous les meilleurs auspices.

Ils s’installèrent dans l'herbe où ils étendirent un immense plaid. Ils passèrent le reste de la matinée à se promener alentours et Loki progressait à une vitesse incroyable dans sa motricité, ils enchainaient deux pas, puis trois, quatre. Parfois il chutait mais l'herbe et le terrain souple amortissait les chocs et il riait aux éclats pour se relever illico et refaire une tentative. Cyb et salvia étaient émerveillés de le voir s’épanouir à chaque jour qui passe.

A l'heure du déjeuner, ils se posèrent sur le plaid, et sortirent des paniers les mets qu'ils avaient préparés pour le repas. C'était un moment de bonheur et de plénitude. Ils étaient heureux tous les trois et rien ne pouvait être plus parfait. Repus, ils finirent par s'allonger, pour profiter de cet instant précieux et s'octroyer un petit temps de repos au calme.

Cyb avait fermé les yeux et continuait de sourire. Salvia allongée à la perpendiculaire sur sa gauche reposait sa tête sur son flan et de sa main droite il caressait son front et sa chevelure douce. Loki était allongé à coté d'elle et semblait déjà s'endormir surement épuisé par tous ses exercices physiques de la matinée. Salvia était la plus heureuse des femmes , et en cet instant se sentait comblée d'amour et de bien être. Elle ne pouvait s’empêcher de sourire elle aussi, sans raison précise, ou plutôt pour toutes les raisons possibles, car ce bonheur, cette chance, elle le savait, était la plus belle des choses à vivre.

Cyb sans s'en rendre compte se laissa emporter par la douceur de l'instant, si heureux, si bien, si détendu et finit par s'endormir. Salvia ne mit pas très longtemps à le rejoindre dans sa léthargie et sombra à son tour dans un sommeil qui l'enveloppait doucement mais surement pour la plonger dans un monde de rêveries. Ils dormaient comme des bienheureux et même dans leur état, on pouvait encore deviner sur le visage de l'un comme de l'autre l'esquisse d'un sourire, réminiscences de la béatitude qui les avaient transcendés quand ils étaient encore éveillés quelques instants plus tôt.

Dans son sommeil, Salvia rêvait qu'elle était dans les bras de Cyb et lui disait combien elle était heureuse avec lui et au moment où elle approche ses lèvres des siennes pour l'embrasser dans son rêve, elle fit un mouvement de bascule vers la gauche. Le petit Loki légèrement secoué se réveilla et ouvrit les yeux. Comme il était sur le dos, il vit le ciel bleu au dessus de lui et il fut instantanément fasciné par ce tableau vivant sur fond de toile azur dans lequel flottait de ci de là de gros nuages blancs cotonneux. Loki était subjugué par ce spectacle vivant et resta longtemps captivé.

Puis quelque chose détourna son attention. Il entendit un bruit sur sa gauche et sa curiosité lui fit de suite tourner la tête. C’était quelque chose par terre qui faisait ce bruit. Ce bruit nouveau il ne l'avait jamais entendu encore et cette chose par terre il ne l'avait jamais vue non plus.

En tout cas, ce bruit était rigolo et cette chose avait l'air très amusante. Elle bougeait et faisait un bruit rigolo. Elle avait aussi de belles couleurs. Du rouge, du jaune, du noir. C’était tellement fascinant que Loki se redressa et s'assit pour mieux l'observer. Il eut un petit éclat de rire et un geste de la main en direction de cette chose inconnue et balbutia dans un langage que les adultes pensent imaginaire et dénué de sens concret, s'adressant directement à l'objet de toute son attention dorénavant, comme pour lui dire:  Heyy!   salut!  moi c'est Loki et toi tu es qui ?

Cette chose ne semblait pas trop s’intéresser à lui, alors bien décidé à en découvrir plus, Loki qui savait depuis hier comment se mettre debout tout seul et enchainer quelques pas, se redressa et s’élança en direction de cette chose mystérieuse. Il fit trois pas et trébucha, et tomba en s’aplatissant vers l'avant. Il se retrouva à plat ventre, le visage à quelque dizaines de centimètres de cette chose rigolote qui continuait de faire du bruit, qui bougeait et qui décidément était joliment colorée avec ses superbes bandes rouges, jaunes et noires.

Loki ne résista pas à l'envie de l'attraper pour la toucher et même la goutter! Il tendit sa main vers l'objet de toutes ses convoitises et au moment où il allait l'attraper, la chose bondit sur son bras. Loki senti la chose qui avait  pénétré dans son avant bras, il avait très mal et se mit à hurler et à pleurer. Il s'agita et hurla. Aussitôt Salvia se leva dans en sursaut suivie de Cyb, tout deux pris de panique, effrayés par les cris et les pleurs de leur fils.

Ils se penchèrent sur Loki qui continuait de pleurer et de hurler, ils eurent juste le temps de voir glisser une forme longiforme qui disparu dans l'herbe plus haute à quelques mètres de là. Tous deux eurent juste le temps de voir les bandes colorées de rouge et jaune vifs et de noir. Il s'agissait d'un serpent bien connu dans la région du lac, le Veyah, et il était recensé comme l'un des plus dangereux, très agressif et dont le venin est particulièrement redoutable car il plonge les victimes dans un coma profond dont la plupart ne se réveillent jamais.

Horrifiés, affolés, Cyb et Salvia avec Loki sans ses bras sautèrent dans la voiture et ils foncèrent vers le centre hospitalier le plus proche. L'enfant fut pris en charge en urgence et au moment même où on l’installait pour l'examiner il sombra dans le coma.
il fut rapidement transféré dans un service de réanimation où on le brancha à d’innombrables câbles reliés à des machines bruyantes de toutes sortes. Il était câblé, branché, piqué partout. Il était méconnaissable et Cyb et Salvia sombrèrent eux aussi, non pas dans un coma, mais dans un cauchemar éveillé sans fin.

Le sourire emblématique de Cyb avait laissé place à l'expression de la plus profonde mélancolie, mélange de tristesse et de désarroi, et son aura avait disparue, on ne voyait plus ce halo autour de lui. Salvia aussi était éteinte, son visage fermé ne laissait plus transparaitre aucune sorte d'émotion, elle semblait vide. Son regard pétillant d'autrefois qui avait tant plu à Cyb dés qu'il l'avait vue, n'était plus qu'un regard étrange sans vie, sans direction, sans joie, sans amour, sans étincelle.

Les jours, les semaines se succédèrent. L’équipe médicale faisait tout son possible pour maintenir l'enfant en vie. Ils n'en étaient pas moins objectifs et francs avec les parents de Loki quant à leurs pessimisme sur le possible réveil de leur fils. Ce à quoi ils leur fallait ajouter que le cas échéant, il faudrait s'attendre à des séquelles irréversibles, ce qui conduisait à suggérer qu'envisager de le débrancher restait peut être la meilleure des solutions, mais que cette décision leur appartenait à eux seuls au final.

Cyb et Salvia refusaient cette éventualité. Même si plus rien n'avait de sens, la seule chose qui pouvait en avoir encore était ce mince filet d'espoir auquel ils continuaient de s'accrocher chaque jour. L'espoir que ce cauchemar s’arrête et qu'ils se réveillent enfin, de ce mauvais rêve, là bas, au bord du lac.  Et que rien de tout ça ne soit jamais arrivé. Ils s’éveilleraient de leur petite sieste tous les trois, et cette journée parfaite, cette journée idéale se poursuivrait dans cette même joie et cette même allégresse qui était la leur avant cet incident qui avait anéanti leur existence à tous les trois. Il serait là, ce bonheur absolu, cet amour permanent et inconditionnel.  
Ils n'étaient pas encore prêts à renoncer.



Loki pleurait et hurlait. Cette chose finalement n’était pas du tout drôle ni amicale. Elle lui avait sauté dessus et l'avait mordu. Il avait eut très mal et très vite il avait perdu connaissance.

Quand il se réveilla et qu'il ouvrit les yeux, il était dans un lit douillet. C’était chaud et agréable, très confortable. Il sourit de soulagement. Il y avait du bruit autour de lui et une forme comme une ombre s'approche et se penche sur lui. C'est sa maman qui vient devant lui et elle lui parle. Elle lui dit:
- Bonjour mon amour, comment tu vas mon petit ange?
Sa voix est douce et pleine de bienveillance. Elle lui dit encore:
- Tu sais mon trésor, ton papa sera là d'une minute à l'autre! et tu n'as pas idée à quel point il a hâte de te voir! mon petit ange tu es très attendu tu sais, tes sœurs et ton frère eux aussi s'impatientent pour te prendre dans leurs bras! tu vas être bien entouré mon petit Lost chéri!

A cet instant, la porte de la chambre s'ouvrit et une cohue s'en suivie. Léo, l'heureux papa pour la quatrième fois venait d'entrer, accompagnés de ses deux filles Syd et Eva, ainsi que son fils Dama.
Tous accouraient pour voir le petit dernier. Après neuf mois passés dans le ventre de sa maman il pointait enfin le bout de son nez. Tout s'était passé pour le mieux. Un accouchement sans douleur, une maman et un bébé en pleine forme. Le scenario idéal pour toutes les maternités du monde. R A S.
C'était un grand moment de joie, un nouveau chapitre qui commençait avec la venue de ce petit être au monde et au sein de la famille. Il avait été désiré et un bel avenir lui était promis.
Très rapidement on autorisa la maman et l'enfant à quitter la maternité et à rejoindre la résidence familiale. Léo ramena la tribu au complet à la maison.


Depuis son réveil Loki se sentait rassuré. Pourtant il ressentait des choses étranges. Il était redevenu un nourrisson à peine né, tout juste sorti de la matrice maternelle. Il était là, venait de naitre. Il était comme la première page encore vierge du roman d'une nouvelle histoire qu'il commençait à écrire.

Puis les événements se sont enchainés si vite. Pris dans le tourbillon de la vie, au moment même où toute cette petite famille l'avait accueilli avec tant d'amour.

Loki n'était plus, Lost était.


Le petit Lost fut un enfant choyé. il grandit au sein d'une famille aimante. On riait, on chantait, on dansait. On était musiciens dans la famille. Lost eut une enfance heureuse. Suivi  d'une longue vie d'adulte plutôt agréable. Il réussit à s'épanouir au mieux, eut à son tour une épouse qui lui donna deux enfants, fut grand père quatre fois et même arrière grand père sept fois. Lost rendit son dernier souffle à l'age de cent un ans.

Il était alité depuis des semaines. Ses forces l'abandonnaient. Il avait tant vécu. Il avait bien vécu comme on dit. Alors c'était sans peur, sans appréhension, qu'il se tenait prêt pour le grand voyage. Il attendait, de partir. Serein...

Il a senti qu'il décollait. Il était aspiré par le haut. Il venait de quitter son corps. Il resta un moment à flotter dans les airs et à observer la scène d'en haut. Il se voyait là, sur son lit, allongé et inanimé. Ce qu'il voyait c'était un corps sans vie et cela ne le perturbait pas outre mesure. Il ressentait même un immense bien être, chose qu'il n'avait pas connue depuis longtemps avec son grand age et son vieux corps fatigué et meurtri par les années.

Finalement, il n'y voyait que des avantages! A être mort... Alors qu'il souriait à cette idée soudaine et pour le moins cocasse, quelque chose retient son attention. Il voit un tunnel devant lui. Il y a une lumière au bout et il est irrésistiblement attiré part elle. Il est littéralement transporté vers elle. Il vole, sans effort, vers cette lumière qui exerce sur lui sa puissante force d'attraction.

Lost atterrit dans un espace superluminescent mais pas aveuglant du tout. Un endroit très calme et paisible, pour le moins rassurant et accueillant. C'est alors qu'il voit des silhouettes qui viennent à sa rencontre. Il ne tarde pas à reconnaitre certains de ses proches décédés avant lui. Certains sont de la famille, d'autres des amis, et d'autres encore lui semblent inconnus et pourtant ils l’accueillent comme si ils avaient toujours été présents pour lui, comme s'ils l'attendaient.

Lost est très ému de revoir des personnes qu'il a aimées et à sa grande surprise également très heureux d'en retrouver d'autres avec qui il avait pourtant eu quelques accrochages et qu'il n'avait pas spécialement portés en estime. Cela lui paraissait complétement puéril et sans importance comme si tout cela n'avait été qu'une comédie qu'on avait joué en connaissance de cause. Une pièce de théâtre d'improvisation. Tout cela n'avait été qu'un jeu. Plus rien n'avait d'importance. Lost se dit que finalement c'était vraiment sympa d’être de ce coté ci du décors.

Ensuite, tout s'est enchainé.. un peu comme tout s'était enchainé jadis dans le tourbillon de la vie autrefois. Revoir tous ces gens, toutes ces émotions, c'était tellement incroyable et intense. Lost ne se rendit pas compte du moment où ce torrent émotionnel est devenu si fort, qu'il en perdit connaissance. Il se sentit juste tomber en arrière dans le vide. Comme dans ces rêves où l'on chute sans fin et où l'on se réveille en sursaut et en nage. Puis, plus rien. Néant.


Lorsqu'il s’éveilla et que ses yeux s'ouvrir à nouveau, c'était dans une salle d'accouchement. Il était une nouvelle page vierge du roman d'une histoire qu'il commençait à écrire.

Lost n’était plus. Judith était.


Dans cette nouvelle vie, il incarnait le personnage de Judith. Judith fut une écrivaine qui toute sa vie chercha des réponses aux questions existentielles qu'elle se posait, sans jamais vraiment les trouver. Elle mourut tragiquement à l'age de quarante ans dans accident de la route. Puis à son tour emprunta le tunnel. Jusqu'à la lumière.
Judith n’était plus.


Judith devint Rémi, qui ne vécu pas plus de trois ans et succomba à une maladie infectieuse pulmonaire. Rémi devint Tao, Tao devint Mathieu qui à son tour franchissant le tunnel devint Loic, puis Valérie, Jerome, Arthur, Adriana, Martin, Sarah, Marie, John, Océane, Winston, Stephania, Pierre, Laura, Giovani, William, Régis, Sylvia, Helene, Soraya, Miguel, Barthelemy, Paul, Gauthier, Sebastien, Clementine, Soizic, Gaya, Merlin, Lou, Kamel, Jawa, Lewis, Piotr, Nuru, Georges, Léa, Cathy, Andréa, James, Bruno, Lyly, Nina, Massao, Soraya, Dominique, Cindy, Gaëlle, Sophia, Zanaih, Alyana, Vincent, Zoé, Alberto, Paula, Mathilda, Swan, Cintya, Balthazar, Erwan, Johana, Emilia, Barbara, Justine, Carl, Bernadette, Sullivan, Youssef, Juan, Amalia... ils furent des milliers à se succéder et à franchir le tunnel..

De tunnel en tunnel, les uns après les autres, tous virent la lumière. Jusqu'à la venue au monde de Sam..


Une nuit d'Octobre, Samuel lui aussi vit la lumière au bout du tunnel. Après une soirée chez des amis, alors qu'il rentrait chez lui à pieds il fut fauché par une voiture sur le trottoir où il se trouvait. Le choc fut tel qu'il fut projeté à plusieurs mètres et sa tête vint heurter un poteau de signalisation. Le double impact fut fatal.

Il fut lui aussi aspiré hors de son corps inanimé qui ressemblait à un pantin désarticulé couvert de sang. Il regardait la scène d'en haut. Des passants accouraient autour de son corps sans vie. Samuel vit le tunnel. Puis la lumière.



Quand il rouvrit les yeux, la sage femme qui venait toute juste de l'extirper du ventre de sa mère quelques minutes plus tôt déclara à celle-ci :
-Mais quelle magnifique petite fille madame! regardez moi ce petit ange comme elle est parfaitement réussie!  comment allez vous l'appeler cette petite princesse?
-Celesta.. elle s'appelle Celesta.
-Quel prénom magnifique!
Samuel n'était plus... Celesta était.


Le tourbillon de la vie a reprit. Celesta était un très joli bébé. Elle n'avait pas été l'enfant désiré qu'ont d'autres parents. Les siens étaient encore très jeunes et plutôt immatures quand elle était arrivée dans leurs vies. Sa mère s'occupait d'elle à sa manière et son père semblait n’être présent que pour lui donner des ordres et lui faire des remontrances. Ce n'était pas l'enfance de rêve, mais c'était son enfance à elle.

Certes on ne nait pas tous avec les mêmes cartes, et elle n'avait pas tiré le gros lot en matière familiale, mais elle avait obtenu quelque chose qui n'a pas de valeur.
Une sorte de carte magique. La carte des rêves. La nuit, quand Celesta rêvait, elle était transportée dans un autre monde. Ce monde était à la fois identique et différent de celui dans lequel elle vivait sa réalité de tous les jours.

Et dés qu'elle s'endormait, elle se voyait transportée sur sa carte magique comme sur un tapis volant, et elle arrivait dans cet autre monde.

Elle atterrissait toujours au même endroit. C'était un endroit magnifique, une prairie d'herbe et de fleurs  sur les bords d'un lac. Elle n'était pas seule dans cet endroit. Elle y avait une vie. Une famille. Des parents aimants , plein d'amour et de tendresse qui la chérissaient.
Il y avait ce beau jeune homme toujours souriant.. Cyb.. son papa qui l'aimait tant..  il y avait sa maman, Salvia, avec sa voix douce et son amour inconditionnel que rien ne peut détruire. Il y avait l'Amour... il y avait la vie.

Celesta rêvait, et dans ses rêves, elle savait que c’était ici le monde, son monde, le vrai! là où elle devrait être.. mais comme dans un cauchemar sans fin, elle finissait toujours par se réveiller dans le mauvais endroit. Cette réalité quotidienne à laquelle elle ne se sentait pas vraiment appartenir.

Celesta grandissait. Et chaque nuit elle repartait de l'autre coté. Toujours au même endroit. Toujours au bord du lac. Toujours avec ses parents. Plus les années passaient, et plus elle était capable de vivre dans le monde du rêve de manière consciente, lucide. Étonnamment, dans le monde du rêve elle ne se voyait pas comme une petite fille, mais comme un petit garçon de 14 mois prénommé Loki. Cela ne lui semblait pas si bizarre après tout puisque c’était un autre monde et que ses parents n'étaient plus les mêmes.

Au fil du temps, Celesta avait fini par ressentir une autre présence. Au début elle était incapable de dire de quoi ou de qui il pouvait bien s'agir.. puis à force de concentration, elle réussit à identifier ce qui lui avait toujours donner l'impression  désagréable d'un danger potentiel et imminent. Cette autre présence dans la scène. Quelque chose qui l'oppressait. Quelque chose qu'il lui fallu très longtemps à comprendre.
Il y avait là, juste sur sa gauche, un serpent coloré de bandes d'un rouge et d'un jaune très vifs en alternance avec d'autres anneaux de couloir noir. Il sifflait, semblait menaçant et particulièrement agressif.

Les années passaient. Le tourbillon de la vie tourbillonnait. Celesta rêvait les nuits qu'elle était Loki. Le tourbillon tourbillonnait.

Celesta avait trente trois ans à présent. Elle s'en était plutôt bien sortie dans " la vie ". Il faut dire que malgré son mauvais tirage au grand loto de la naissance et à défaut d'une famille idéale, elle avait l'intelligence, la vitalité, c'était une très jolie jeune femme pleine de charme qui avait un très bon job.. C'était une intuitive, elle pressentait les choses, et était capable de scanner l'esprit des gens en un temps record ce qui lui permettait d'anticiper sur beaucoup de leurs comportements présents et à venir. Elle n'était pas en couple et aimait tellement son indépendance que ses histoires d'amour se soldaient toujours par une inévitable rupture. Et finalement, déçue elle finissait par voir ça comme une fatalité. Du moins, elle faisait des choix. Et puis surtout, il y avait cette vie, mais il y avait aussi l'autre monde. Chaque nuit, il y avait l'autre monde.

Il y avait la carte magique. L'autre monde. Et aussi.. ce serpent qui non seulement la terrorisait dans ses rêves, mais qui avait fini par l’obséder aussi la journée. Il y avait quelque chose à comprendre avec ce serpent. Elle en comprenait le symbole. Mais sans savoir quoi en faire.

Celesta était venue au monde un vingt trois Mai. Elle avait trente trois ans aujourd'hui. Mais ce n'était pas un jour de fête. C'était une journée comme les autres pour elle. Après une trop longue journée de travail , elle est rentrée chez elle, a pris une douche, grignoté sur le pouce et s'est couchée de bonne heure, épuisée.

La carte magique.. L'autre monde.. ses parents.. le serpent...

Elle s'est vite endormie. Cette nuit là, quand elle arriva au bord du lac elle sentit tout de suite que quelque chose était différent qu'à l'habitude. Quelque chose n'allait pas. Quelque chose clochait. Elle était bien là, dans l'autre monde, au bord du lac. Il y avait Cyb et Salvia et il y avait Loki et il y avait le serpent, et il y avait elle. Elle.. Celesta.

Elle n'était plus Loki dans ce monde, mais Celesta qui survolait la scène et regardait les choses se dérouler du point de vue d'un observateur qui surplomberait l'ensemble du décors de sorte à avoir une vue panoramique et intégrale. Comme on regarderait un film sur un écran de cinéma elle était devenue spectatrice.

Loki était. Celesta était.

Celesta vit Cyb et Salvia étendus sur le plaid. Loki lové contre sa mère. Cyd souriait. Salvia semblait la plus heureuse des femmes. Loki dormait paisiblement. Celesta souriait et des larmes coulaient sur ses joues. Ils étaient si beaux tous les trois. Cela devait ressembler à ça le bonheur. L'amour. Cela devait être quelque chose comme ça. Un amour inconditionnel. Qui se suffit à lui même. Juste un instant magique, un bonheur absolu. Un amour sans faille. Qui n'a besoin de rien d'autre pour exister.

Salvia s'endormait comme une bienheureuse. Elle eut un petit mouvement inconscient et se décala sur le son flan gauche. Loki qui dormait à ses cotés fut réveillé par la secousse. Il ne broncha pas. Il ouvrit les yeux et fut littéralement subjugué par le tableau vivant qui s'animait devant lui, la haut dans le ciel.

Celesta entendit un sifflement et se rappela le serpent! A peine eut elle le temps de réaliser que Loki avait tourné la tête interpellé par un bruit inconnu et plutôt intéressant par terre sur sa gauche.. Loki semblait ravi de cette découverte et se redressait pour s'asseoir afin d'examiner cette chose un peu mieux. Il se présenta même à la chose inconnue dans un langage que seuls les enfants comprennent et avait l'air très emballé pour faire plus ample connaissance avec elle. Puis il se lève et se met debout sur ses deux jambes, lui ce petit bonhomme qui avait fait ses premiers pas hier devant son père ému aux larmes.

Celesta comprend ce qui se joue et se met à hurler: Salviaaaaaaa !!!!! Attention!!!!!!!! réveille toi!!!!!!

Salvia se réveilla en sursaut. Quelque chose venait de la sortir de son sommeil en la faisant bondir. Elle vit Loki debout à coté d'elle qui s’apprêtait à s’élancer en avant, et d'un réflexe de sa main sans même qu'elle ait le temps d'y réfléchir, elle attrapa son fils par son vêtement et le tira à elle.. Loki retomba en arrière assis sur les fesses. Et Salvia aperçu le serpent juste devant à un mètre à peine! elle cria et recula en serrant Loki dans des bras.

Le serpent apeuré s'enfuit dans les herbes et disparu.

Salvia en larmes, serra fort Loki contre elle et embrassa son front. Au moment où les lèvres douces et chaudes de la mère se posèrent sur l'enfant, Celesta redevint Loki. Elle réintégra le corps de Loki.

Loki était. Celesta était Loki.



( "Connais ce qui est devant ta face et ce qui t’est caché se révèlera à toi, car rien n’est caché qui ne doive être manifesté." Evangile de Thomas - Logion 5. )